Galerie
-
Travailleur de nuit
Les fenêtres de l’usine éclairent la nuit
Les lumières de la ville s’éteignent
Appuyé contre mon établi
Je sens la journée lointaine
Quand les enfants dorment
Quand les poètes écrivent
On renfile l’uniforme
Sur nos silhouettes chétives
Masqués la nuit, au lit le jour
Vous ne savez rien de nous
Et nous sommes presque sourds
De trop de bruits de clous
Ce soir j’étais à l’œuvre
Comme depuis dix ans
Quand tout d’un coup un fleuve
De peine heurta mon sang
Des larmes chaudes mouillèrent ma joue
Mais mon chef me dit : "Gare à vous"
Alors je n’eus d’autre choix
Que de cacher mon émoi.
© Ophélie Léonard, 2025 -
Le fusain noir
Noir mort, noir dehors
Noir demain, noir devin
Noir élégance, noir méfiance
Noir désespoir, noir dépotoir
De quelle couleur est mon fusain ?
Qui trace le corps des fantassins
Perdus dans une tranchée en vain
Qui fixent le ciel avec entrain
Noir costume, noir bitume
Noir quotidien, noir comédien
Noir philosophe, noir apostrophe
Noir peine immense, noir décadence
De quelle couleur est mon fusain ?
Dans ce monde noyé de saints
Qui cachent un bien triste orphelin
Déchu d’un monde en souverain
Noir manoir, noir grimoire
Noir désillusion, noir confusion
Noir destin, noir libertin
Noir souffrance, noir à outrance.
© Ophélie Léonard, 2025
-
La marelle
Les larmes noires d’une jeune pucelle
Comme l’eau troublée d’une aquarelle
Couvrent les traits et puis ruissellent
Sur les joues de la demoiselle.
Tentés par un plaisir charnel
Voilà quelques moutons qui bêlent
Fixent cette douce jouvencelle
Aux lèvres au goût de caramel.
Rejoignant d’un air naturel
Quelques enfants sur la marelle
Elle fait un pas puis monte au ciel
Dans un silence solennel.
© Ophélie Léonard, 2025
-
Banalités
J’ai pris la route sans trop de lucidité,
Pour sillonner ma ville et ses banalités
Je fixe les gouttes qui reflètent en conformité,
Les rues d’une enfance sans excès
Nous prêchons partage et santé
Quand nos voisins, qui ont trop lutté,
Se droguent jusqu’à être alités
Comme un vœu d’immortalité
Un souvenir à chaque pavé,
Chaque rue et chaque mur délavé,
Qui a connu nos cahiers
Et nos dernières romances d’été
J’arpente les sentiers sinistrés
D’une ville qui semble déjà passée
Sous la pluie et la lourde fumée,
Qui elles seules, semblent s’éterniser.
© Ophélie Léonard, 2025
-
L'été entier
Sur le sable
Vers la côte
Dans les marées
Nous irons donc nous prélasser
Sans repenser à nos prisons
Par-delà même les lunaisons
Et comme le temps est libéré
Nous nous aimerons l’été entier
Dans la mer
Dans l’eau claire
Sur les voiliers
Nous irons donc nous pavaner
Sans rêver d’un ailleurs manqué
Par-delà toutes nos liaisons
Et comme le temps est si léger
Nous nous aimerons toute la saison
Sous le soleil
Sous la crème
Vers les palmiers
Nous irons donc nous adorer
Sans souffrir plus que de raison
Par-delà tous les horizons
Et si le temps n’est pas doré
Nous nous aimerons à la maison.© Ophélie Léonard, 2024
-
Café des Solitaires
Derniers débris d’un monde à terre
Je redessinerai nos frontières
Je bois un café saveur de guerre
Là juste en bas, aux Solitaires
J’ai rogné mon sale caractère
J’ai lavé mes yeux à l’eau claire
Je bois un café saveur éther
Là juste en bas, aux Solitaires
Centième lettre sans destinataire
Jamais le monde ne me fera taire
Je bois un café saveur d’hier
Là juste en bas, aux Solitaires
J’ai dicté des mots nucléaires
Senti la peur des bouquinières
Je bois un café saveur cratère
Là juste en bas, aux Solitaires
J’ai observé la nuit se faire
Et j’ai cherché en vain à plaire
Je bois un café saveur j’espère
Là juste en bas, aux Solitaires.© Ophélie Léonard, 2024
-
La goutte d'eau
La goutte d’eau a fait déborder le vase,
Trop de vilains mots dans les phrases
Elle tombe sur la table,
Fait une chute confortable,
Elle mouille le bois
Je la ramasse de mon doigt,
Elle coule le long de mon bras,
Mes habits se noient
Tout mon corps se noie
J’ai froid, je crois,
Elle aurait pu nourrir les roses
Être de celles qui arrosent
La Terre et la nourrissent
Mais elle est là, et elle glisse,
Tout doucement vers le sol
Menant une vie frivole
C’est la goutte de trop,
Elle creuse entre nous un ruisseau,
Je la vois aussi sur ta joue
Tu la balayes, elle échoue
Elle ne poursuivra pas sa route
Vers ton corps, et ses voûtes
La goutte d’eau a fait déborder le vase,
Trop de silences remplacent nos phrases.
© Ophélie Léonard, 2025
-
Désinvolte
Ma peine devient joie désinvolte
Mes peurs le vent les emporte
Nous avons vu le rouge de l’enfer
Maintenant tout ça est loin derrière
Je ne sais plus rien du goût amer
De la colère qui prolifère
Je crie devant le monde entier
Tous les gens qui veulent m’écouter
Que je ne suis que liberté
Ma seule peur serait d’oublier
Tout ce que la nuit m’a enseigné
Ce que m’ont dit les étoiles dorées
Ma peine devient joie désinvolte
Mes peurs le vent les emporte
Je vais briser toutes les portes
Ivre d’une joyeuse cohorte
Qui m’entoure et qui me conforte
Je suis de ceux qui prêtent mainforte.© Ophélie Léonard, 2024
-
Le rocking-chair
Depuis quelques temps
Dès les premiers rayons
Je regarde passer le temps
Et j’entends sans raison
Dans ma maison que j’aime tant
Comme une voix qui dirait
Va-t'en tant qu'il est temps
Et je sens qu’elle dit vrai
Depuis je vois le temps passer
Il est grand, maigre et pressé
Il dessine sur un mur terne
Sur fond de musique western
Il semble ne pas vouloir s’arrêter
Je tente alors de lui parler
D’une voix bientôt ridée
Mais le monsieur est distrait
À le regarder ainsi faire
J’ai passé une vie entière
À vouloir ainsi l’attraper
De longues minutes j’ai condamné
Je bascule d’avant en arrière
Mes mains sont jointes en prière
J’ai moins de demain que d’hier
Là, seul dans mon rocking-chair[...]
© Ophélie Léonard, 2024
-
Le diable sur l'épaule
J’ai un diable sur l’épaule
Il sort à peine de taule
S’agite dans sa piaule
Il prend souvent le contrôle
Dit que le mal est plus drôle
Il connaît bien son rôle
Il voit les anges, il en rigole
Ses doigts rouges me frôlent
J’ai un diable qui me crie
D’aller en psychiatrie
Si je n’aime pas la vie
Si je n’ai que du mépris
Pour ceux comme lui
Qui font de la poésie
Mais je crois qu’il me trompe
Je rêve que je le confronte
Un jour il est feu
Le lendemain il est lumière
Mais d’un sourire affreux
Me rassure et m’assure
D’exaucer mes prières
Me parle sans censure
Les anges finissent déchus
Ne finis pas déçu
[...]
© Ophélie Léonard, 2025
-
Chez le coiffeur
Les vieilles dames vont chez le coiffeur
Pour se sentir exister,
Et allongent en de longues heures,
Les quelques minutes d’un sujet
Moi, au salon, la tête ailleurs,
Je les regarde s’agiter
Et je ne parle pas beaucoup d’ailleurs,
Elles aiment se sentir écoutées.
© Ophélie Léonard, 2025
-
Barbe à papa
Trop sucrée
Pour en profiter
Pour dire la vérité
Pour conserver le lien sacré
Pour retourner y habiter
Pour ranimer mes soirées
Trop rose
Pour soigner mes névroses
Détecter mes psychoses
Pour comprendre mes choses
Pour me protéger quand j’ose
Pour rêver d’une vie grandiose
Trop légère
Alors elle s’envole en l’air
Disparaît loin dans l’univers
Un ballon dans le bleu du ciel
Nourri d’énergie pulsionnelle
Qui brise consonnes et voyelles.
© Ophélie Léonard, 2024